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Transat retour: J'ai choisi le chemin de la mer

Photo du rédacteur: Florence et PierreFlorence et Pierre

14 juillet 2024: Néphyla est amarrée dans le port d’Horta, île de Faial, Azores.

Jour 0 Brassière à l’eau !

On largue les amarres de la marina de Bas-du-Fort, Pointe à Pitre, vers l’îlet du Gosier où nous jetons l’ancre. Après un examen du speedo, un grattage de coque très succinct et un dernier bain de mer aux Caraïbes, nous repartons. Après 2 bords qui refusent, le bateau est très lourd et le vent en plein dans le pif, je dois mettre le moteur plein régime pour arriver avant la nuit à Saint François dont la passe d’entrée est déconseillée aux non initiés. Le fond est sacrément près de la quille, 2m max à un endroit, pour notre Néphyla qui plonge à 1,8m. On accoste, ouf, la lumière était déclinante. L’eau et l’électricité sont à disposition comme on avait vu avec Florence deux semaines plus tôt.

Extrait d’une lettre à Jean-Michel, du voilier Bohème 

Salut mon Jmi.

Faut que je te raconte un truc. On était juste sortis du chenal, GV haute et génois presque entier, une fringue de Manon s’est décrochée et est tombée à l’eau. J’ai réfléchi une seconde et j’ai dit « homme à la mer, exercice d’homme à la mer ». J’ai tout fait tout seul en expliquant au fur et à mesure. Casser l’ère du bateau face au vent, continuer de tourner pour être vent arrière, rien à faire du génois complètement lâché, écoute bloquée très libre, dire à tout le monde de s’asseoir pour éviter de se cogner à la bôme, vérifier que ça n’empanne pas, retour sur la trace écrite sur le grand écran du traceur, zoom à fond, retour sur nos pas exactement moins de 20 secondes après. A ce moment là, les autres ont dit « On ne voit rien, ce n’est pas grave, c’est juste une brassière ». J’ai continué à chercher et j’ai vu le tissu flotter juste là où il devait être, devant l’étrave du bateau à 20m. J’ai dit à Manon de pointer son doigt et de ne plus le lâcher des yeux, Akiloë a été prendre la gaffe et on a attrapé la brassière, bateau à l’arrêt pendant le deuxième demi-tour. J’ai crié de joie. Merci Florence de m’avoir expliqué plein de fois. Je sais faire grandeur nature avec une brassière, j’espère ne jamais avoir à le faire avec un.e équipier.ére.   

Bise à Sandra.    P.

Jour 1 Surveillance à chaque seconde

J’apprends à mener ma barque avec à bord 3 personnes étrangères dont je ne connais pas les connaissances, les capacités, les qualités et les défauts. Idem pour moi qui n’a jamais dirigé d’équipage, même si Florence m’a dit que je le faisais déjà depuis pas mal de temps sans m’en rendre compte. Je dois apprendre beaucoup et vite. Je ne note rien sur mon carnet de voyage, et pour cause, je suis bien trop préoccupé par la marche du bateau et mes 3 loustics. À propos de loustics, je vais vous raconter comment j’ai rencontré Akiloë.

On papote avec Fabien, notre voisin de ponton et Azénor, la fille du bateau du bout du quai. Ils réagissent ensemble quand je leur dis chercher un.e équiper.ère. « Akiloë cherche un embarquement ! ». Je vais mettre 24 h à mémoriser correctement son prénom. Akiloë prévenue par ses copains et copines rapplique illico ponton 17 et on discute. Elle aime la voile, elle est bretonne et se ballade sur des voiliers à ses heures, a déjà fait une traversée Bretagne-Cap-Verde, prend des cours de voile ici à Pointe à Pitre. Engagée. J’e-maile la bonne nouvelle à Florence pour qu’elle me donne son avis. Flo, au Canada en ce moment, se régale de sirop d’érable et de toutes les productions possibles de sucreries sorties de l’érablière dans laquelle elle a élu domicile avec sa fille. Il fait - 5°C et il neige chez elle, il fait 38°C dans le bateau. Un monde nous sépare, vivement qu’elle revienne, mais avant ça, qu’elle profite bien.

Jour 2 Cap au Nord

Cap au Nord, sur le routage calculé et les WP, les point de passage de Michel, notre routeur professionnel, le même que nous avions pour notre première traversée du golfe de Gascogne. Ci-dessous un exemple de mail qu’il nous envoie tous les jours

Vu position ce jour,14/06, Vent ESE à SE 9-12noeuds, Averses grains, Houle E 1.2mètre 7secondes, Pression 1015hpa, 15/06, Vent SE 9-13noeuds, Averses grains, Houle SE 1.1mètre 6secondes, Pression 1016hpa, Wp3 21.41N 58.56W, Wp4 23.00N 57.19W, Bonne journée, Michel

Un peu laconique, Michel ne fait pas de la littérature, il fait du routage.

Maîtriser l’iridium, le système de communication par satellite, n’est pas chose aisée pour moi, tout cela en surveillant le bateau et en ne dormant que peu. C’est Florence qui s’en était chargée durant la traversée aller. Il faut faire des progrès et accepter que les choses se fassent lentement.

Jour 3 On va prendre un grain

Toujours route au nord, un grain s’approche rapidement. Il faut prendre un ri dans la grand voile et enrouler le génois, je me surprends à réduire la voilure en moins de 30 secondes. Ça tombe dru, on est sous les tropiques. On est mouillés mais contents.

Néphyla va bien, les filles n’ont pas de soucis pendant leur quart de nuit, je dors en pointillé, je sens que je m’amarine, Manon paraît bien mais ne tire pas sur sa ficelle, prend une pilule contre le mal de mer comme Akiloë et elles ne restent que le minimum en bas. On prend nos marques gentiment.

Jour 4 Demi-tour

Illogique, totalement illogique ! Cela fait plusieurs heures que je cherche la cause d’une panne et je n’ai, après tout ce temps, aucune piste. Les batteries de servitude sont vides. Elles alimentent les instruments de bord, l’éclairage, les pompes à eau, le frigo et surtout le pilote automatique. Cette nuit, j’ai démarré le moteur et je n’ai pas constaté de charge comme d’habitude. Si le moteur ne peut recharger les batteries, les panneaux solaires le peuvent, mais partiellement seulement. Je coupe immédiatement le frigo et met l’equipier.ère de quart à la barre, j’organise des tours de 3 h et je dis à tout le monde que ce nouveau système sera modulable si on ne tient pas le coup. Barrer deux fois trois heures par jour n’est pas si facile. 

Je coupe toutes les consommations non essentielles, ne conservant que les instruments de navigation indispensables. J’envoie un message à Florence pour lui expliquer le problème. Non seulement cela m’aide à poser les choses, mettre des mots logiques et clairs sur le papier, mais également cela m’a permis dans le passé de trouver nombre de solutions. Florence presque à chaque fois m’a amené avec ses questions et ses remarques vers le chemin du salut, quand ce n’est pas elle toute seule qui a émis une hypothèse qui s’est avérée être la bonne. Elle recherche sur internet et m’envoie en copie les instructions du fabricant du moteur et les remèdes de maître Google. J’alerte aussi mon ami Jmi. Jean-Michel est mécano dans l’âme, a fabriqué son bateau et eu une petite société d’installation de pompes à chaleur. Il saura m’aider. Jmi me conseille de vérifier toutes les connections, déjà fait, me met sur la piste du régulateur plutôt que du chargeur, déjà testé, émet l’hypothèse du répartiteur, on teste mais rien n’y fait, ça ne charge pas.

J’évoque avec les autres la possibilité de faire un stop aux Bermudes. Bien évidemment, je constate plutôt des grimaces. Je ne lâche pas l’affaire et nous passons de longues heures à tout vérifier et revérifier, tester, brancher différemment, réfléchir la tête à l’envers dans le moteur pendant plusieurs heures de suite. Point positif, nous sommes amarinés et je finalise le réglage du régulateur d’allure, sorte de pilote automatique écologique qui barre sans énergie autre que celle du vent. Il est moins précis mais correspond tout à fait à une partie de la solution. Je le surveille pendant mon quart de nuit et il est fidèle au rendez-vous, fait son boulot comme un chef. Il reste 24 des 48h que je me suis donné avant le déroutement vers les Bermudes.

Jour 5 « Yé ! Utúvienyes ! »

C’est de l’elfique, langue inventée par J.R.R. Tolkien, connu pour avoir notamment écrit « Le seigneur des anneaux », livre que lit Akiloë à ses heures perdues. La traduction en grec est « Eurêka » et la version française : J’ai trouvé. J’ai re-décomposé tous les faisceaux de câbles qui transitent autour du moteur qui a bien refroidi pendant la nuit. J’avais confondu hier deux gaines de même couleur et de même diamètre qui passent en-dessous de toutes les autres gaines. Un des faisceaux va vers le gros sélecteur rouge que je pensais à tort exclu du circuit. Mis sur 1+2 par l’équipe qui s’est occupée de changer le moteur il y a 4 mois à la Martinique, cette position ne permet pas le chargement des batteries de servitude.  C’est totalement illogique mais la panne vient de ce gros bouton rouge si facile à tourner. Je le positionne sur 2 et le miracle se produit. Ça charge et le voyage peut continuer en route directe vers Horta aux Açores sans passer par les Bermudes. Tout le monde est soulagé. 

Jour 6 À quatre c’est plus facile

Et dire que nous, Duocéanique,  Florence et moi, n’avons fait que du portant depuis La Rochelle jusqu’à La Martinique, cette transat est sous le signe du près. Il faut tout autant régler le bateau et adapter les voiles au vent qui est sur l’eau. Aujourd’hui, nous avons réduit et renvoyé les ris de la grand voile, enroulées et déroulé le génois 3 fois. A quatre c’est plus facile. Les autres apprennent à manœuvrer la GV. T croit bien faire mais beugue un peu et quand je lui dis comment faire, vexé il va bouder dans son coin. Plus tard, il pêche un poisson. On rigole et on est bien content de manger le fruit de la mer.

Jour 7 Daurade coryphène au menu. 

J’écris ici le nom de ce poisson, non pas comme le dictionnaire le préconise, mais comme Moitessier qui annote une photo du livre « 14000 milles par le cap Horn ». C’est cette photo, bizarrement si bien mémorisée, qui me fera améliorer la technique pour retirer la peau du poisson avant d'en lever les filets. Histoire de pêcheur… sourire. Manon pêche donc une grosse dorade. La vraie surprise dans cette histoire est que par le plus grand des hasards, nous étions tous les quatre à regarder la mer vers les lignes et que nous avons tous vu la dorade sauter puis attraper le leurre. Nous avons récupéré 8 parts en tout pour deux repas. Un plat à la tahitienne, poisson cru, pour le soir même. Le lendemain, j’ai poêlé les dernières parts à midi. Succulent dans les deux cas.

Jour 8 La pêche à la sargasse. 

Jusqu’au jour 12, on pêche pour rien, si ce n’est pour remonter régulièrement des sargasses qui colonisent la mer au-dessous du 27ème parallèle. Les leurres achetés à la Gomera avec Jmi dans la petite rue commerçante du plus joli port du voyage, ceux qui ont tant sortis de poissons durant la transat aller ne donnent pour l’instant rien. 

Je m’occupe en cherchant à remettre en marche le radar qui vient de tomber en panne. Une heure plus tard, j’ai trouvé. L’électronique est si puissante de nos jours qu’elle peut générer 2 affichages radars différents avec un seul et même radôme en fonctionnement. J’essayais d’allumer le radar  A alors qu’à l’écran était sélectionné le B. C’était écrit juste devant moi, mais tout petit, je n’avais rien remarqué.

Jour 9 Le safran de Patrick

T crie qu’il voit un safran dans l’eau. Je sors la tête et aperçois ce que je peux certifier être un safran de taille, de forme, de structure égale au safran que Patrick a perdu voici quelques mois au large des Canaries. Le safran de Patrick a pu traverser l’Atlantique au gré des courants et se retrouver sur notre chemin. Je prends ce signe du destin pour un bon présage. Patrick est un modèle de capitaine pour moi, comme Jean-Claude qui m’a fait découvrir la voile. Patrick m’envoie un peu de son énergie pour m’aider à traverser.

Malheureusement, le safran de Patrick n’est pas le seul à croiser notre chemin. Nous verrons tout le long de notre route un nombre impressionnant de petits et gros débris plastiques, des plaques blanches informes, des bateaux petits et moyens, retournés, détruits, des bidons, des dizaines de bouées de toutes les couleurs. En Bretagne il y a des plaques à même le sol près des plaques d’égouts qui annoncent « la mer commence ici », aux Canaries idem en Espagnol, idem au Portugal, les ports sont la place de pollution, ils sont aussi la place des prises de conscience. Continuons à nous mobiliser pour ne pas que la mer et le reste des terres ne soient une poubelle.

Jour 10 Toujours plus au nord.

Nous regardons sur l’écran de navigation les milles diminuer doucement. A Pointe à Pitre, il nous restait 2284 milles à parcourir en ligne droite pour arriver à Horta aux Açores. Mais chaque matin, Michel le routeur nous donne un nouveau WP. Irrémédiablement, la route prévue théorique s’allonge. Nous verrons ainsi trois jours de suite, alors que nous faisons 100 milles par jour sur l’eau, presque le même chiffre au compteur des milles restant. 1400 est maudit. Il nous faudra 4 jours sans fin pour enfin voir un 1399  s’afficher. Et tout ce chemin au près serré, tout le temps le bateau penché, tout le temps l’impression de circuler sur des échafaudages branlants et mal installés. Alors nous discutons, nous refaisons le monde, un vieux comme moi et deux jeunes femmes, des discussions très intéressantes. Nous nous faisons aussi la lecture à voix haute : « Le seigneur des anneaux », « L’empereur des maladies, le cancer », je lis de mon côté Moitessier, je potasse le livre de Météo, celui de navigation astronomique, les notices techniques des instruments qui tombent en panne pour les réparer au fur et à mesure, je commence « Mutineries » de Niklas Frikman et je finis mon cadeau d’anniversaire offert par Florence pour la transat : « Jeanne Barret l’aventurière, première femme autour du monde avec Bougainville ».

Jour 11 Analyse des cartes isobariques

 Michel nous a prévenu « peu de vent !». Nous le voyons arriver depuis que Florence l’a vu sur ses cartes de vent. Elle a analysé tous les modèles, sur plusieurs jours, sur tous les sites météo qu’elle connait, tous les jours depuis le début. Le vent va tomber, on appelle ça la Pétole. J’y suis prêt. Je l’écris avec l’iridium à Mohamed, parti une semaine avant nous : « La pétole ne tue pas. Patience ».

Alors j’en profite pour me poser des questions et essaye de monter en compétence sur ma lecture et compréhension des phénomènes météo. Je commence maintenant à chaque fois par une analyse de la carte des pressions. Il en découle la compréhension des fronts, des vents, leurs directions et leurs intensités, la nébulosité et les précipitations. Je débute et c’est fichtrement compliqué.

Jour 12 Montage du bimini

Je ne pensais pas un jour installer le bimini alors que nous naviguons. Il y a si peu de vent et tant de soleil qu’on peut installer ce parasol pour se protéger du plus fort des rayons. 3 jours de « vent » calme à venir. On a des bonnes nouvelles d’Eric et Sylvie et aussi des trois jeunes copines sur « Molécule » qui seront à Horta en même temps que Flo. Les discussions sur la date d’arrivée commencent. ETA (Estimated Time arrival) 8 ou 9 juillet d’après les routages de Flo. Encore une fois, mon équipe à terre ne se sera pas trompée, nous arriverons exactement entre le 8 et le 9, à minuit moins le quart exactement. Annoncée par ma chérie plus de 16 jours à l’avance, chapeau tes routages, ma Florence !!!

 Jour 13 Bain au milieu de l’Atlantique

Plus de vent. Plus du tout. La mer est plate. La mer est d’huile. La mer est une immense piscine. La mer est…Plouf !!! J’ai plongé au plein cœur de l’océan. Pas de requin… LOL, bisous à Sandra qui comprendra. Que dire, rien, juste profiter, étendre les bras en croix et respirer les yeux fermés et se dire qu’on est seul, peu de chose, juste un humain, juste un être vivant de plus dans un endroit incongru, placé là par la seule force des années de technologies qui ont permis l’avènement de la navigation avec GPS qui est la vraie raison de ma présence ici. Nuit moteur à l’arrêt, pas de bruit, pas un souffle, je dors, je rêve, je suis bien, j’attends.

Jour 14 Astronavigation

Profitant dune soirée très calme, d’un horizon presque sans nuage, de la bonne forme de l’équipage qui n’ira pas se coucher tout de suite, je sors le sextant. Tout le monde jette un coup d’œil et essaye de voir l’horizon, une étoile et d’aligner cette étoile et l’horizon. Pas facile. Heureusement que le GPS existe, déjà dit hier, encore plus vrai aujourd’hui. Et nous n’avons pas essayé de faire les calculs de droite de hauteur qui suivent la lecture de l’angle que fait l’étoile avec… STOP !!! Compliqué, trop compliqué. Honnêtement ? Très compliqué. Mais comment-est-ce- qu’ils-faisaient-ils ?

Jour 15 Arrêt au stand

Pétole totale. Que faire contre le ronron d’Eole ? Rien. Je regarde l’eau, miroir immense immaculé où seules les ailes des poissons volants font comme les pâtes des oiseaux de mer quand ils décollent, de petits ronds dans l’eau. J’en vois des si petits, plus petits qu’un petit doigt, qui volent quand même. Bien sûr me dis-je, c’est leur état de poisson volant. La vie en pleine mer est un mystère qui ne se dévoile qu’à la faveur de cet immobilisme. Poésie de la Pétole.

On aperçoit furtivement de gros déchets quand on navigue. Quand la vitesse du bateau est faible et encore plus pendant la pétole, on peut mieux quantifier le nombre de déchets plastiques sur l’eau. C’est hallucinant la quantité qu’on voit à la surface. Il y en a des centaines (milliers, millions) que l’on ne détecte que quand l’eau est immobile. Qu’en est-il des profondeurs? Est-ce important ? Je n’en sais rien.

Jour 16 To spi or not to spi. 

J’ai du temps et j’écris à mon copain Mohamed qui termine sa transat, parti une semaine plus tôt que nous.

Salut à toi Mohamed, prince des vagues bleues, roi des mers orientales, empereur des toutes marines, les dieux, dans leur infinie bonté, nous gratifient d’une route originale, chaque jour nouvelle, chaque jour inconnue, chaque jour par nos yeux découverte, toi, votre majesté, face aux éléments, qui croit toucher au but bientôt et pour qui comme Ulysse les dieux ralentissent la course, moi, pauvre marin en herbe de Provence, saupoudre des épices ça et là sur l’onde plate pour repousser le sort qui nous a fait nous arrêter comme au mouillage un après-midi et une nuit durant, et au lever, n’apercevant aucun signe sur l’eau d’une quelconque brise, comprend que la leçon du jour ne sera pas celle des manœuvres de voiles mais de la patience renouvelée qu’il faudra inventer pour calmer nos ardeurs d’hommes pressés, habitués que nous sommes aux vitesses élevées, ma personne intime, bercée d’aéronautique depuis ma tendre enfance, où les km se comptaient en seconde, ici dans cet atlantique anticyclonique gigantesque, il faut réapprendre l’éloge de la lenteur si l’on n’a à bord emmené avec soi qu’une cargaison Écolo-responsable d’or noir, limitant par la-même la possibilité de s’échapper du piège mielleux de la grande piscine qui nous offre son plongeoir en la personne de Néphyla, reconvertie en hôtel de luxe, silencieuse, qu’aucun voisinage ne trouble, notre Néphyla qui s’endort pour quelques heures ainsi que moi, allongé sur son pont, à savourer les étoiles et la clarté lunaire, guettant sans véritable espoir un souffle qui ne vient pas. P.

Jour 17 Toujours pas de pêche. Journée manœuvres. 

Profitant de la pétole, nous avons passé la nuit tout sorti, GV haute et génois plein. Les équipier.ères ont des consignes précises afin de ne pas se retrouver trop toilé dans le cas, improbable, où le vent monterait. Me réveiller, relâcher le chariot de GV, relâcher l’écoute de GV, préparer les cordages pour enrouler un peu le génois. Rien ne se passe de grave et le petit matin nous trouve courant doucement vers le nord sous une petite brise. À midi, juste avant le repas, empannage du spi asymétrique, la contre écoute doit passer à l’extérieur du bout de l’amure, on l’avait mal installée hier et j’étais heureusement à l’avant pour vérifier quand je me suis aperçu de ce détails, une des dix bonnes raisons de se tromper quand on installe un spi.

Petit détail, le pilote automatique s’appelait Monsieur TOTO. L’équipage a choisi de le renommer, sans me demander mon avis, « Fletcher Christian », nom du chef des révoltés de la Bounty. Bizarre, d’ailleurs, Fletcher était justement infidèle… il faudra que je surveille mon équipage, au cas où ils me prépareraient un mauvais coup !!!

Jour 18 Rien. 

Les gens à terre se languissent. L’équipage guette un souffle et se satisfait de 5,5 kt de vent puisque Néphyla décolle. D’avoir tutoyé la vitesse zéro rend humble et on se prend à se réjouir d’une simple brisounette. Akiloë dixit: « C’est la teuf, on va vite ». Vitesse de Néphyla à ce moment là : 3,9 kt !!!

Jour 19 Aujourd’hui, jour de régate. Youpi

Hier après midi, nous avons mis de l’Est dans notre Nord comme jamais auparavant. Enfin le changement de direction tant attendu par l’équipage qui signifie que l’on fait route vers les Açores de manière plus directe. Nous avons passé la barre des mille milles restant. Le vent monte un peu et nous faisons « enfin de la voile ». Ma confiance dans les deux équipières vient petit à petit. Pour ce qui est de T, toujours pas, je l’ai surpris à vouloir barrer la nuit, ce qui est plutôt bien, mais il se dirigeait vers l’Ouest sans s’en rendre compte, ce qui est plutôt con. Il ne voulait même pas changer de direction, persuadé d’être « dans son bon droit ». A trop vouloir être à droite, on est extrême, ce qui n’est pas bon, ce qui est même le plus con qu’on puisse faire ces temps-ci…

Jour 20 Les derniers morceaux de pain.

Pour une fois, je vais faire le repas. Les trois équipier.ères se sont si souvent proposés à cette tâche-ci que c’est seulement la troisième fois depuis le départ des îles que je vais officier aux fourneaux. Après la vérification matinale de nos vivres restantes sur mon ordre, Akiloë a dressé la liste des vivres encore à bord pour terminer cette transat. Elle a retrouvé on ne sait où, on suppose au fond d’un profond placard, un quignon de pain dur. Je propose pour ce midi de sustenter l’équipage avec une salade de lentilles brunes agrémentée d’une macédoine de légumes ainsi que, pour dessert, un pain perdu au lait de montagne et sucre de canne de Marie-Galante. Les convives à midi pile s’assoient sur les bancs du cockpit et leur capitaine, en ma modeste personne, leur sert le couvert et fait cuire le pain perdu, veillant à en arrêter la cuisson au moment de rimer et non de brûler afin d’en développer l’auguste saveur et non point la gâcher par trop de temps dans la poêle. Un art que tous applaudissent et fêtent en lançant de vive voix trois hourras retentissants. Ah la belle ambiance de marine à voile que voilà ! 

-          Oh Pierrot, tu viens juste de faire cuire du pain au lait en versant dessus du sucre en poudre, tu ne crois pas que tu en fais un peu trop avec tes ‘’ capitaine ‘’ et tes‘’ marine à voile ‘’ ?

-          Ok. MDR.

Jour 21, 22, 23 Les ronflements d’Éole.

Les ronflements d’Éole c’est très poétique. Éole dort comme un sonneur et ce depuis presque un mois. Il avait du faire un grosse fête avec Héphaïstos et comme l’autre à l’habitude de taper la mesure avec un gros manteau sur son enclume, le niveau sonore devait être tellement élevé qu’Éole a maintenant les oreilles qui bourdonnent et n’a pas entendu le réveil. Pas de vent. On devrait légiférer pour une limitation du bruit dans les boites de nuit de l’Olympe! Les ronflements d’Éole c’est très poétique, mais ça fait chier.

On me souffle dans mon oreillette qu’Éole s’est réveillé du mauvais pied et qu’il a délaissé le nord de l’Atlantique pour le sud. Il a déclenché une vilaine pagaille avec un cyclone de classe 5 qui est passé sur Carriacou et les autres petites îles des Grenadines où nous étions Florence et moi il y a trois mois. Nos amis Jouls et Lola ont heureusement quitté les lieux vers Trinidad plus au sud. Ouf. Jmi et Sandra sont plus au nord, à la Martinique, où il n’y a eu que beaucoup de pluie et de grosses vagues qui ont fait cependant des dégâts sur St Anne et Ste Luce. Les habitants de ces îles, déjà pauvres, sont régulièrement secoués de maux gigantesques dus justement à Hephaïtos avec les volcans et les tremblements de terre et Éole avec les cyclones.

Jour 24 Pétrole contre pétole

Le titre de ce blog est : j’ai choisi le chemin de la mer. Il y a comme hier de la poésie dans cette phrase. Il pourrait y avoir également beaucoup d’écologie, de ma part ce ne serait pas si surprenant. Imaginons un instant que j’ai été seul sur Néphyla avec de surcroît personne à terre pour m’attendre, ce qui n’est bienheureusement pas le cas, ni pour ma solitude à bord, ni celle dans ma vie, Florence m’attend et je file vers elle avec toute l’énergie de l’amour. Je n’aurais pas utilisé un gramme de gazole, sauf pour entrer et sortir des ports car c’est obligatoire, tellement plus pratique et sécurisant. Le voyage aurait duré plus longtemps, 4 ou 5, voire 8 jours de plus sans doute.

Nous avons fait le plein à Pointe à Pitre, 90litres. Nous avons emmené 130l de plus dans des jerricans accrochés entre les haubans. Cela nous donne une certaine autonomie. Tout notre gazole va y passer, sauf la réserve de sécurité que je garde en cas de coup dur. Comme on fait en aéronautique, il y a toujours en plus la demi-heure de sécurité et les impompables. 

Voyager en voilier de manière bas-carbone, comme on dit maintenant, signifie que l’on a aucune pression sur une quelconque date d’arrivée… ce qui n’est presque jamais le cas, convenons-en. Être Écolo en voilier est aussi compliqué qu’à terre, la motricité naturelle du vent n’est qu’une façade qui s’écroule assez vite si on compte tout. Diminuer notre consommation (de pétrole et du reste) est fichtrement difficile. Je n’ai pas parlé des technologies de communication utilisées et de leur consommation propre, ni des objets technologiques, tablettes, téléphones portables, sondeur, anémomètre, cartographie électronique, radar, instruments de bord, cordages et matériaux techniques, manilles et tout le toutim en inox, etc. Soyons honnêtes, un voilier comme Néphyla qui vogue aujourd’hui n’est absolument pas écologique. Si j’ai choisi le chemin de la mer, c’est par amour du voyage et de l’océan.  Florence, j’arrive.

Jour 25 Grand ménage à trois

Je coupe court tout de suite à toutes les mauvaises plaisanteries que j’ai moi-même provoquées avec ce titre, il s’agit bien de trois personnes qui font le ménage. On devine sans peine qui ne le fait pas. Les filles ont proposé ce matin de s’organiser pour nettoyer le bateau afin d’avoir le moins de temps possible à passer à terre et pouvoir rendre le bateau/ maison à Florence dans le plus bel état possible, initiative louable s’il en est. Après un rapide brainstorming, la liste est terminée et soudain, T dit d’une manière péremptoire qu’il ne fera rien, me regardant pour que j’acquiesce puisque je suis sensé comprendre le pourquoi de sa décision. Les filles sont choquées, malheureusement pas moi. Les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît. Il n’a donc pas fait le ménage, comme les grands élans patriotiques qui puent le conservatisme ressemblent à s’y méprendre à de la fainéantise. Maman fait le ménage. Si je n’ai plus de maman, ma femme fait le ménage et si je n’ai plus de femme, la première venue le fera, c’est quand même son rôle et pas le mien, non mais !!

Nous avons donc fait le ménage à trois, dans la bonne humeur, plutôt bien d’ailleurs, Néphyla brille de tous ses vernis, du fond des placards aux entourages de portes.

Jour 26 L’éternité c’est long, surtout vers la fin

La phrase n’est pas de moi mais elle colle à ma réalité. Mon équipe à terre, entendre ici Florence, mais aussi Mohamed et Jmi m’encourage à tenir bon. Je les remercie. Il y a des luttes faciles, occupées, logiques; des luttes difficiles, très occupées, stressantes en mode survie; et il y a ma lutte, tranquille, douce, silencieuse, pétoleuse, politique, humaine, consistant à aplanir les artefacts des stress alentours de mes conavigateur.trices. Chacun voudrait arriver, sauf moi qui ne veux qu’avancer au rythme du vent réel, chacun voudrait décider, sauf moi qui voudrais que la décision s’impose. Tout le monde n’est pas égal au petit jeu de l’influence de mes humeurs.

Manon, recrutée en premier sur la bourse aux équipiers ne m’a jamais déçu. Nous avons échangé par mail puis au téléphone et après discussion, ses contraintes pouvaient convenir à notre plan : je ramene le bateau aux Azores. Manon a fait une transpacifique il y a quelques années. Si elle veut recommencer à naviguer aux longs cours, c’est que les longues ambiances de la houle et les distances ne la gênent pas. Elle tient le choc en effet, avec rigueur dans son rôle, chacune de ses propositions ayant été analysée par moi a été approuvée. Elle sent bien les choses et est la seule à avoir une vision globale de la navigation. Elle commence même à réfléchir aussi au bateau. Elle a envie, grâce à cette transat, de se perfectionner dans le futur. Mon avis est qu’une école de voile du genre de la SNEM à Marseille, où elle réside, et qui a si bien formé Florence, ferait l’affaire. Il me reste des choses à lui apprendre mais le gros a été enregistré dans sa tête bien faite. Elle est mûre pour des cours de barre, de réglage de voile, de manœuvres de port et de théorie les jours de tempête et de pétole dans une institution où les moniteurs sauront répondre à ses attentes.

Jour 27 Une dépression passe au nord

Enfin du vent, les fichiers gribs prévoient entre 26 et 32 kt. Je me retrouve en cette fin de voyage plus qu’à aucun autre moment dans un rôle de capitaine qui doit tenir le cap, non pas du bateau, la route est directe et évidente, ce n’est pas 25 ou 30 nœuds de portant qui vont me stresser, j’ai avec Florence déjà vécu bien plus difficile. Je ne sous-estime pas le vent. Mais la gestion des hommes et des femmes est bien plus fine et délicate à mettre en œuvre dans 10m² pendant 28 jours. Surtout avec un con à bord. Je calcule ma route pendant une bonne heure avec les simulations et analyses de Florence, le WP final de Michel, la carte des pressions et des vents. Je vais faire un arc de cercle vers le sud pour éviter le plus gros de la dépression. C’est parti pour une nuit sans vraiment dormir, pas grave, on arrive bientôt.

Toute la transat, j’ai échangé des informations techniques, météo, mécanique, électronique, etc. avec Florence. J’ai aussi envoyé et reçu des mots plus tendres, plus intimes et des réflexions sur nos manières de voir la vie, la navigation. Voici un extrait d’une lettre de Florence, capitaine de Néphyla à terre pour cette fois-ci, à Pierre, capitaine de Néphyla en mer.

Super ! C'est bien que vous puissiez avancer. Combien d'autonomie de gazole as-tu encore ? Pour la nourriture et l'eau ça va ? J'ai eu Gil au téléphone aujourd'hui…

On a été manger une glace ce soir à l'Estaque avec Chris et Gaby. C'était sympa, j'ai pensé à toi j'ai revu l'entrée du port où j'avais mon petit POGO 6.5m. La balustrade où tu m'avais prise en photo il y a 11 ans déjà. Dire que c'est là que j'ai appris la voile il y a 15 ans. Pour l'anniversaire de mes 40 ans j'avais eu ce cadeau mon premier week-end sur Atouva. Et maintenant j'ai traversé l'Atlantique c'est irréel.

Chris m'a dit : « Tu as été jusque bout de ton projet » et Odile m'avait dit la même chose l'après-midi. Pascal son mari m'appelle Florence Arthaud maintenant :)))). Et mon frère m'a dit « Je suis très fier de toi ».

Oui c'est vrai, à l'époque, je rêvais de partir un jour sur mon bateau, sur un bateau et je me disais que jamais ça ne se réaliserait car je sais que les rêves ne restent souvent que des  rêves. Qui aurait imaginé cette journée où tu es monté sur mon petit bateau pour naviguer. Nous étions plus jeunes plus beaux et  nous étions amoureux. La journée avait été magnifique j'avais tant confiance. Ma candeur était totale à l'époque.

Puis un jour ces souvenirs se sont enfouis et j'ai pu profiter de façon absolument magique d'Atouva évoluer me perfectionner dans cette rade que j'aime tant grâce à Alain que je remercie toujours beaucoup intérieurement car il a cru en moi et m'a aidé à reprendre confiance en la vie. Atouva a été ma perle rare, mon grand ami, ma consolation. L'estaque était ma respiration dans des moments de vie si douloureux. C'est  Atouva et Elevine qui m'ont fait rester debout.

Et puis aujourd'hui finalement ce rêve irréalisable s'est réalisé grâce à toi, grâce à nous, mais 11 ans plus tard.C'est si irréel...

Aujourd'hui c'est Néphyla, mon quatrième bateau, notre bateau, celui qui respire nous deux. Le BDG juste avant, sa mise à l'eau, sa sortie dans la vraie mer.

J'ai du mal à expliquer comment ces bateaux sont capables de faire tous ces effets dans ma vie  alors qu'ils sont des machines comme tu dis à la fin de ton mail « formidable machine »... Je crois que ça vient juste du vent dans les voiles, le vent c'est tellement vivant.

Je vais dormir... Bisous... J'ai hâte que tu sois contre moi au chaud dans le dodo tout douillet.

Bisous

Jour 28 Une lumière dans la nuit

Le vent nous pousse fort. L’ETA de Florence donnée il y a 16 jours est toujours exacte. Nous arriverons cette nuit. Première lumière, celle furtive à travers un nuage, qui nous offre la vue du monticule volcanique de « Capelinhos », à l’ouest de Faial ; celles de la côte sud de l’île, des maisons de bord de mer de Castelo Branco ; la nuit est là, profonde, mais les nuages s’écartent et trois autres rouges au fond là-bas, en hauteur, qui annoncent le Monte Da Guia autour duquel il faut virer, celles du port et toute petite, au milieu, sur le ponton d’accueil, enfin, celle minuscule mais si importante, la lumière finale, telle celle de Galadriel qui aide le porteur de l’Anneau, celle de Florence qui me fait signe. Florence qui m’attend, qui m’amarre et qui m’embrasse.

Fin.


P.

Comentarios


Duocéanique Néphyla 4

L'équipage de Néphyla vous souhaite bonne lecture

Nous, c'est Florence et Pierre, deux marins en herbe... de Provence (pour le côté cuisine), de Charente-Maritime (pour le côté habitation), de La Rochelle, (comme Bestaven... NA !), du port des Minimes (c'est notre maxime), du ponton 58 (comme mon âge)  sur notre voilier Néphyla, on a le  "Feeling" (c'est le modèle du bateau).

Duocéanique Néphyla 41

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